Intro | Claire | Claudine | Gwenaëlle | Gérard | Henri | Herve | Jean-Pierre | Joël | Patrice | Marche |
Album photos | Version confidentielle revue par Axens | À imprimer |
LE PARIS - BREST - PARIS DE JEAN-PIERRE |
21H28, lundi 20 août 2007, la nuit tombe. Il pleut déjà sur les 5321 cyclistes au départ de ce XVIème Paris Brest Paris ("PBP") Randonneur.
Le temps promet d'être abominable. On le sait déjà, et grandes seront les détresses au cours des quatre jours qui s'annoncent. Je croise le regard d'Alain Génin du club d'Andrésy. Alain avait accompagné Michèle dans son inimaginable galère de 90 heurs en 2003. Il ne partira pas cette année et sait déjà ce qui nous attend. Les copains de Claire et Gwenaëlle font un boucan d'enfer avec leur banderole à la gloire de leurs idoles qui vont partir tout à l'heure, sous la pluie, alors qu'ils vont rentrer sagement se coucher dans leurs lits douillets, eux. Beaucoup n'arriveront pas, on s'en doute sans le dire. Moi aussi, je m'en doute, comme déjà Lachenal avant son ascension de l'Annapurna avec Herzog. On va devoir monter plus de 10 000 mètres sur 1 227 km dans un temps limite de 90 heures. Cela signifie qu'il nous faudra couvrir plus de 330 km par tranche de 24 heures, sous la pluie.
Pourtant, j'affirmais bien, fin 2003, qu'on ne m'y reprendrait plus. J'avais fait une chute sérieuse vers 22:30 en pleine nuit sur le trajet retour du millésime 2003 du fait d'un cyclo-ventouse à l'arrêt au milieu de la route qui lie Fresnay sur Sarthe (PK 1048) au carrefour dangereux de La Hutte.
Cerise sur le gâteau, j'affirmais, alors: "les PBP, quand on en a fait un, on les a tous faits".
Alors, pourquoi y aller ?
Distance | Départ | Jour | Heure | Arrivée | Jour | Heure |
---|---|---|---|---|---|---|
450 km | Élancourt | Lundi | 21h30 | Loudéac(1) | Mardi | Soir |
325 km | Loudéac | Mercredi | 02h45 | Loudéac(1) | Mercredi | Soir |
310 km | Loudéac | Jeudi | 03h00 | Mortagne(2) | Jeudi | Soir |
143 km | Mortagne | Vendredi | 04h15 | Élancourt | Vendredi | 13h30(3) |
(1) Hôtel "Les Routiers"
(2) Dortoir de l'organisation, en visant d'arriver avant les gros bataillons pour trouver de la place
(3) Temps total depuis le départ: 88 heures soit deux de moins que le temps limite
Mon objectif de cette troisième participation, en solo et toujours en autonomie totale, est de survoler l'édition 2007 dans un fauteuil, c'est à dire de finir en 88 heures (fichier Excel pour les fanas) en quatre étapes tranquilles séparées chacune par deux cycles de sommeil (voir table à droite).
On peut se fier, mais avec prudence, au dortoir surchargé de Loudéac. Il y a mieux.
Comme je roulerai solo, mon choix se porte sur l'hôtel "Les Routiers", à Loudéac, où la RUSA (Randonneurs USA) a généreusement laissé un lit disponible. Il y en aura en réalité beaucoup plus du fait des nombreux abandons du 1er jour. Pour le retour le jeudi soir, toujours du fait de ce programme solo, j'utiliserai le dortoir de Mortagne au Perche, mais en arrivant avant la foule des "90 heures", ce qui dicte un départ assez tôt de Loudéac le mercredi matin. Pour le linge sec, j'enverrai un colissimo "L", encapsulé dans un "XL" à l'hôtel de Loudéac et resterai autonome à Mortagne. Pour maximiser la durée des périodes de récupération, une seule solution: vitesse de base élevée et arrêts aussi courts que possibles aux pointages, voire pas d'arrêt du tout, comme Claudine. Pour l'énergie du départ et le lancement de la digestion, je prépare du gâteau Overstim's amélioré avec l'aide lointaine de Tandem Breton, ce qui signifie qu'il y aura du beurre salé et du chocolat dans la recette. Pour le reste, un peu de nourriture liquide 640 Overstim's dans le bidon arrière pour les nuits (je le jetterai virtuellement non utilisé, à chaque fois) et de l'Hydrixir Overstim's pour le premier bidon de boisson, eau plate ou Vichy ensuite pour éviter l'écœurement. Une fois la digestion lancée, plus d'Overstim's et un maximum de vraie nourriture.
Ça va ronfler, à Loudéac et au dortoir de Mortagne au Perche. Maman Lepertel crierait peut-être au crime de lèse Paris Brest Paris. Qu'importe, j'aurai mes pantoufles.
L'entraînement associé (11 000+ km) fut moins "cyclo d'opérette" que d'habitude. Pour partie à cause des coups de pied au derrière de Claire, 2006 et 2007 ont été des années de vélo plus sérieux que d'habitude, émaillées de quelques sessions plutôt bestiales et ruisselantes de pluie froide. Mais ceci s'est fait en plus, naturellement, du vrai cyclotourisme comme la royale flèche Paris-Nice et son étape de Chalancon. Pour le brevet de 600, contrairement à Gérard qui a visé puis réalisé un 2 x 600, je ne prévoyais pas un non-stop, trop dur. Pour les autres brevets, doublement: Assurer le premier brevet avec les Abeilles et tester les limites de Dr. Olive (ma randonneuse Singer vert Abeille) et de son cavalier dans le second. Le brevet 400 de Noisiel, torché en 19 h 10 de folie furieuse, sera là-dessus un festival de bestialité gratuite avec ses relais à 27 km/h face au vent ou à 32 km/h au plus noir de la nuit et la défaillance attendue à 70 km de l'arrivée. Quel bonheur quand ça s'arrête !
Le stage commando de Chazol chez Chantal et Henri sera le point d'orgue de cette préparation de type plutôt "casque lourd" avant le grand calme de la semaine précédant le départ. Encadré de deux raids sacochards rapides (quoique: 200 km par jour, seulement ...) en solo dans les côtes à la lisière du Morvan des Alluets à St Bonnet le Château, en évitant la morne facilité de la vallée de la Loire et en ne m'arrêtant même pas au château de Victoire de Tracy à Paray le Frésil... ; cette semaine Chazolienne homérique fut un festival de pluie et brouillard. Nous garderons longtemps, Claire aussi j'espère, un souvenir ému de la journée "pluie et vent" du mardi du col du Béal, sous la pluie battante qui préfigurait déjà ce PBP, avec en plus le froid et le buffet géant Présidentiel en haut du col du Béal.
Pesée de Dr. Olive et du cavalier: 96 kg dont 72 kg de cavalier tout nu (je roulerai habillé, tout de même) et 24 kg de vélo tout chargé avec ses deux bidons, ses outils, un peu de nourriture par sécurité, les éclairages, les pneus de 25 Pariba ultra-souples avec chambres latex et les vêtements. Ernest Czuka dira que 24 Kg, c'est beaucoup trop lourd. Il a raison. Aux pieds: les sandales Shimano à cales Frog de Speedplay sans chaussettes, un élément de confort qui étonnera pourtant tout le monde sous la pluie. Je n'utiliserai les chaussettes qu'au dortoir de Mortagne. Cette année, plus de dynamo Lightspin avec régulateur de tension mais trois éclairages principaux à diode dont un, le plus puissant, en frontale, en plus de la dynamo du vélo qui marche avec sa Lumotec à halogène de 2,4 W mais que je n'utiliserai à aucun moment.
Pour ne pas avoir à conduire de voiture au retour, je viens à vélo des Alluets. Sur place, il faut résister aux merguez-frites. Le départ commence par des pâtes, peu avant les 17h00 fatidiques à la pizzeria Pino (déconseillée maintenant par les testeurs vélofourchette) devant le lac artificiel d'Élancourt.
Ensuite, attente avec Gérard, rejoints bientôt par Gwenaëlle et Sébastien puis, longtemps après, par Patrice, devant le portillon d'accès au stade. Sieste, re-nourriture (le gâteau Overstims amélioré "Tandem Breton qui donne 140 + Km d'autonomie), eau plate. Attente. Gérard part à 8h00 avec la première vague des lièvres non dormeurs (les "1 x 1200 km" et certains "2 x 600 km"). Je l'accompagne à pied, c'est très impressionnant. Il fait déjà nuit et la pluie froide va enfin commencer. Vers 9h00, ondulations dans le champ continu des cyclos: Claire et Esteban piétinent tout monde et rejoignent Gwenaëlle dans la première vague de 9h30. Une banderole apparaît dans le noir: la chanson de geste de Claire et Gwenaëlle, un lai narré par leurs collègues de fac, bouffons et hilares qui, leur forfait achevé, iront dormir dans des lits.
Claire veut rester avec Gwenaëlle, derrière. Comme Patrice, je pars devant, trop vite, et je perds tout le monde de vue. Une chute juste devant ma roue à gauche évitée de justesse: on en reparlera peu avant Brest avec un collègue de l'ACP qui était là aussi. Ce n'est pas là du cyclotourisme mais bien le départ usuel d'une course cycliste classique avec ses chutes, ses rétrécissements, virages et relances, voire même ses écarts et autres perfidies tactiques. Les mains sur les poignées de freins, on roule dans le noir à tombeau ouvert jusqu'à Mortagne (pk 140), moyenne roulante 27,7 Km/h sur ce tronçon de folie. Au passage à Châteauteauneuf en Thymerais, un regard sur la gauche pour le Bar des Sports, ouvert ce soir en hommage à Jean-Pierre, le patron décédé en début d'année. Ce n'est pourtant pas une bonne idée de s'arrêter avant Mortagne et les cyclos du forum PBP ne sont sans doute pas encore là. La digestion est bonne: je continue. Passage en trombe autour de la place ronde de Longny au Perche vers les 2 heures. Mon café habituel y est fermé. On repart dans la nuit.
Enfin, sur la droite en haut d'une interminable montée, on voit le panneau de Mortagne au Perche. Nous revoici dans le monde civilisé. Il n'est pas encore 3 heures du matin et il fait froid. Alors je fais œuvre utile en mangeant un repas complet au self de Mortagne pour les remercier d'être venus. Pas plus d'omelette ici qu'à Villaines, cette année.
Tous les cyclos manquant de savoir-vivre ou d'estomac sont passés sans s'arrêter. C'est le moment de repartir dans le froid après 35' d'arrêt. Doucement car il faut digérer mais vite car ça descend: une descente interminable qu'il faudra remonter jeudi soir. Les villes se succèdent: Mamers avec son café ouvert (non: je ne m'y arrêterai pas) et Fresnay sur Sarthe, la ville culte de Gwenaëlle (Gwenaëlle, d'Axens et bientôt de Houston) où je rends visite à mon copain du bistrot à droite dans le virage que tout le monde loupe (et ce sera pire au retour). Il ne me reconnaît pas mais me remettra au retour. Je l'informe des heures où il doit rester ouvert pendant ces 4 jours. On se demande vraiment ce qu'on fait tous les lièvres qui sont passés avant ... Enfin ... passage de la Sarthe et arrivée en côte à Villaines la Juhel: Mayenne et Mayennais: on entre dans le pays de Gwenaëlle (qui roule quelque part à l'arrière, sans doute plus avec Claire). Pointage. Je saute le ravito, achète deux croissants aux amandes en solde et mange un sandwich sur les 4 que j'avais stockés dans ma réserve secrète). Jean me dira au téléphone que c'est comme ça qu'on aura fait un chassé-croisé sans se voir avec Patrice: un coup à Mortagne (mon arrêt ravito) et un coup à Villaines (arrêt ravito de Patrice). Traversée de la Mayenne sans souvenir précis, toujours très vite mais en papotant avec les collègues de route. Pour faire le malin, j'annonce à un cyclo voisin, non-Mayennais, à quoi va ressembler Ambrières les deux vallées et son café mythique au bord de la Mayenne. Pas de chance: on vient de le traverser dans la grisaille sans même ressentir ses deux côtes successives, j'ai l'air malin! On roule très vite, préoccupés par la pluie qui n'en finit pas.
On arrive dans mon pays: Gorron, La Tannière. Je photographie, à St Ellier du Maine, les panneaux indicateurs vers Montaudin et vers Pontmain. Entrée, en bas de la descente du Loroux, en Ile et Vilaine. Tiens, le charcutier du Loroux a l'air fermé! Puis, entrée en trombe et sous la pluie dans Fougères après la dernière descente. Je respecte jusqu'au contrôle le parcours irrationnel de l'organisateur mais c'est dit: la prochaine fois, je trace ma route tout seul. C'est presque midi: l'heure de la soupe. Alors soupe de Fougères.
En sortant de Fougères, encore par un trajet irrationnel, avec des côtes à grimper aux rideaux, je reconnais la fameuse galettière de Romagné. Enfin. C'est promis: je m'arrête au retour. On zigzague moins autour du Couesnon qu'en 2003 et on file sur Tinténiac, non sans être passés, comme en 1999, par St Hilaire des Landes. Il pleut des cordes et la maison du beau-père de Bénédicte est fermée. Je ne m'arrête pas. Sur ce tronçon, je croise, spectacle de désolation, des groupes constitués entiers qui retournent en hâte mais sans garde-boues, sous la pluie battante, vers Fougères: abandons. Arrivée sans détour à Tinténiac. Comme Jolly Jumper, Dr Olive connaît maintenant la route et je peux dormir tranquille sous mon gore-tex rouge sans risque de m'égarer: un immense progrès sur 2003.
Ce n'est pas encore l'heure du thé et des crumpets, alors on marque un arrêt bref à Tinténiac et on repart vers Bécherel et Loudéac via St Méen le Grand où m'attendent Marcel et Liliane. À Tinténiac, je vois Sébastien qui attend Gwenaëlle avec inquiétude et me fait signe. Je ne le reconnais pas et pars vers Loudéac. Il faudra 5 longues minutes à l'influx nerveux pour atteindre une région lucide de mon cerveau marécageux de batracien et enfin reconnaître l'image de Sébastien. Trop tard. Pardon, Sébastien. Heureusement, Marcel suivait pour sa part les passages sur internet car je suis en avance de 3 heures sur mon plan de route, dopé par l'idée d'un lit aux draps secs. Bonjour, bisous, et on repart vers Loudéac, avec un énorme ras le bol dans les jambes. Marcel fait celui qui ne voit pas que je suis cuit: infinie délicatesse. À 10 km de Loudéac, un dernier thé-vécé à la Chèze (percée ?), offert par un client sympa, on bavarde, un coup de fil à l'hôtel des Routiers pour leur demander de chauffer les pâtes et arrivée à Loudéac peu avant le noir qui s'avance.
Loudéac: il est seulement 20h45, je suis en avance de 2h45 et j'ai pourtant envie de tout laisser tomber. Il pleut partout, sauf dans l'hôtel des Routiers que je rejoins par les rues désertes suintantes d'eau, après avoir accepté bêtement que Marcel et Liliane ne viennent pas dîner à l'hôtel (j'aurais du les inviter, mais tout tournait au ralenti. Pardon Marcel, pardon Liliane). Vélo, pâtes, potins avec la patronne et un couple de cyclo campeurs réfugiés du camping détrempé de Loudéac, douche et à l'hôtel. Je pense à tous ceux qui vont devoir dormir dans leurs vêtements trempés au dortoir ou, pire, sur un carrelage froid. Je pense aussi à Claire et Gwenaëlle qui vont devoir dormir dans quelques heures sous leurs tentes dans ce bourbier. Je vais me payer une super nuit portée de 4h20 à 5h50 après un report à nouveau de 1h15 seulement pour avancer le départ à 2h45. "Non au colialisme" ( O Leão de Sete Cabeças, Glauber Rocha), et à l'esprit de compétition qui va avec. Le vélo sous la pluie me rend très "Art et essai", et pas question de tenter de réduire le temps total budgété à 88 heures: il faut juste augmenter la marge de sécurité du fait de ce temps exécrable.
N'empêche, le lendemain matin à 2h45, je ne suis pas fier sur les routes noires, désertes et glaciales qui mènent à St Martin des Prés. Les autres non plus, d'ailleurs, et personne n'ose passer devant, car Dr Olive a le meilleur éclairage du coin ... Un trou hostile dans le macadam en profite pour faire un pinçon (deux fentes) à ma chambre neuve en latex vert (vert, pas rose) à l'arrière et au pneu Pariba, sous des rideaux de pluie et dans un noir d'encre. Je répare dans le noir sous la pluie battante. Bonheur!. À Merléac, je repère enfin les meules de foin que Jean-Paul et Patrice ont utilisées en 2003, mais sous des rideaux d'eau. Vérification faite, celles de Jean-Paul et Patrice étaient dans une grange. À St Martin des Prés, après une pub d'enfer tout le long du chemin, je peux enfin voir ce que Sonia a fait du Relais St Hubert que lui a vendu Nicole. Sonia a fait l'économie des flonflons: je n'entre pas. D'ailleurs il fait froid et Sonia ne semble pas offrir les lits de la famille (et le sien...) aux cyclos de passage. Descendre sur Corlay, prendre la route des camions, l'incontournable contrôle secret, bref pousser le vélo jusqu'à Carhaix avec une moyenne désastreuse de moins de 19 km/h sur ce tronçon de cauchemar.
Arrêt nourriture (un vrai repas) à Carhaix. Je retrouve Sébastien qui me raconte les malheurs de Gwenaëlle, qui roule seule presque depuis le départ et accumule tuile sur tuile. Je ne peux rien d'autre que des vagues vœux, ne pense même pas à fixer avec Sébastien un rendez-vous demain matin à Loudéac pour offrir une roue (chagrin, la roue du matin, certes, mais c'est mieux que rien) à Gwenaëlle, et on repart à 8h20 vers la première station de bus pour piquer un somme de 10' largement commenté par les rumeurs de peloton des cyclos de connaissance qui passent. Pas de pointage à Huelgoat (BPF 29), c'est déjà fait. Par contre, pointage du col de Trédudon (361m) face au vent du Nord, à droite en arrivant au roc Trévezel. Pas d'autres cyclos sur la route du col: tous se focalisaient sur PBP. Routine à Sizun, je vais même entrer dans l'enclos paroissial à vélo parce que la crêpière n'a pas encore fait chauffer ses plaques. Il est pourtant 11h30 et le soleil brille enfin. Descente vers Loperhet, Jean me donne au téléphone des nouvelles des autres Abeilles (car d'Abeilles, je n'en vois toujours point). Mon cousin Xavier n'est plus à Loperhet, avec sa purée, son jambon blanc et son gâteau de riz. Je regrette presque que son employeur ait accepté sa mutation vers Montpellier.
Rien ne me retenant, traversée en trombe du pont Albert Louppe, avec un fort vent. Une régate de dériveurs fait rage au large. S'ils savaient ...
À Brest rien à signaler hormis cette stupide information relative à deux hypothétiques heures d'extension dont on ne saura peut-être jamais si elles ont été accordées ou non. Ne jamais faire confiance aux officiels fatigués et ne croire que le programme officiel. C'est dit, il faut rentrer au gymnase vendredi avant 15h30 (on est déjà mercredi et il est 13h06 à Brest). Mon plan de route dit 13h32 vendredi: J'y serai à 13h32 vendredi. Alors je saute le ravitaillement. Je mangerai des crêpes à Sizun au retour (je les compte en roulant comme on compte des moutons dans le Génie des Alpages: une galette avec œuf et beurre salé pour Judicaëlle, une crêpe avec miel et amandes pour Caramelle, une ...), tout en bavardant avec les collègues cyclos, dont le diagonaliste de l'ACP qui roule sur un Singer tout chromé et était à l'accident de lundi soir. L'ambiance est aux rumeurs de peloton car il fait enfin beau.
Par un de ces miracles dus à Ste Thérèse de l'enfant Jésus, Dr. Olive roule vite au retour vers Carhaix et pulvérise tout le monde dans les côtes, avec une moyenne locale à 23,4 km/h. Allez savoir pourquoi. En tout cas c'est bien pratique d'avoir un turbo, car il y a plein de côtes à monter de Brest à Carhaix. La pluie revient à seaux à partir de Corlay. Un Italien cuit (un Vermouth) abandonne dans un bar dans une très grande détresse. Il a oublié jusqu'à son nom, et personne ne parle sa langue. C'est le grand ras le bol qui revient au galop: rouler. 18,7 km/h à l'aller, et 22,6 km/h au retour sur ce même tronçon. Vas comprendre. Ste Thérèse de l'enfant Jésus est toujours là et, surtout, mon lit m'attend dans la chambre 42. On commence à voir quelques rares américains sur la route. En fait ils sont, comme toujours, tous derrière. Je remarque quand-même la grande civilité des randonneurs de Seattle, qui ont des garde-boue arrière avec bavette longue et lestée à faire pâlir d'envie nos propres vélos, dont nous sommes pourtant très fiers. On peut prendre les roues sous la pluie, à Seattle, sans pour autant en prendre plein la tronche. Il est 22h15 (avance portée à 1h35 à l'arrivée), il pleut des cordes pour l'entrée à Loudéac dans des pentes impressionnantes. Alors, dans le ballet des Kamikazes plus ou moins éclairés, je passe devant à fonds dans le noir et les flaques d'eau géantes, motivé par mon lit chaud qui attend. Un cyclo français m'a devancé à l'hôtel. Il est zombie et tient des propos incohérents. Surtout, il perd du temps. Alors je mange avec la patronne, une douche et au lit. Report à nouveau de 1h15 d'avance, sauvons un minuscule 4h35 d'arrêt à l'hôtel (deux mini-cycles de sommeil) et départ à 3h00, en avance de 1h15 sur le plan de route. Le temps promet d'être détestable, une fois de plus. Il faut donc rester plus prudent que le plan de route.
Dur, dur, le départ de jeudi matin à 3h00 dans le noir et sous la pluie. Je n'y vois rien et, cette fois-ci, je reste 10m derrière le dernier du groupe. J'en ai marre et on n'y voit rien sous la pluie grasse qui s'infiltre partout. Vive le gore-tex léger de randocycle, quand-même.
Le spectacle nocturne est féérique, parfois angoissant. Rouler très vite sous la pluie, sans lune sur une route sans lignes de sécurité et luisante d'eau, face à des voitures roulant parfois pleins phares, est à déconseiller aux âmes sensibles.
Le pointage secret est toujours à Illifaut comme en 2003. L'ACP s'encroûte. Je pointe à 5h10. Aucune raison de s'y éterniser plus de 15'. J'essaye de causer avec des collègues après Illifaut mais le cœur n'y est pas. Chacun s'enferme dans son mutisme. Comme hier, mes yeux se ferment au petit matin et je dois faire une sieste de 10' à St Méen le Grand (Marcel n'est pas là, cette fois-ci). Je choisis un porche de maison bien noir. Pas de chance; ce porche est équipé d'un dispositif anti-cambrioleurs qui allume une lumière quand on passe sous le capteur. Je serai certainement photographié 5 fois couché par terre comme un gisant d'église. Heureusement, il fait nettement moins froid qu'il y a quatre ans. Le ravito privé du haut de la côte de Bécherel fait fureur. Je repars au ralenti. Comme hier, la moyenne est minable sur ce tronçon: 19,2 km/h. Vivement Tinténiac.
De Tinténiac vers Fougères (le coin de la carte que j'ignore, et qui m'ignore pareillement), rien à dire: relayages de pros avec un cyclo Allemand, puis dans un groupe de coursiers légers hyper structuré qui roule à tombeau ouvert sur deux colonnes parallèles de cyclos montants et cyclos descendants et m'explose dans une bosse raide, puis bavardages pour passer le temps avec un copain cyclo du 300 de Mours (je crois). En fait, nous tentons tous, ainsi, de combattre les vagues de sommeil qui submergent le cerveau à intervalles réguliers. Pas de gros coup de barre mais pas de moyenne en or: 22,7 km/h sur une route presque plate.
Fougères: achat d'un sandwich dur comme du bois dans un bar qui fait grand battage de son accueil exceptionnel (hum!) des cyclos avant le pointage, je saute le pointage et fonce vers Montaudin et surtout vers La Tannière car je n'ose pas prendre le raccourci vers Montaudin, par la route de Larchamp à droite après le Mont Romain (oui, celle qui évite les 3 côtes au retour vers Montaudin). La Tannière: je les croyais fermés, mais en fait ils sont ouverts. Alors je vais leur dire bonjour. En fait de bonjour, j'y dormirai 15' sous une couverture sur un matelas princier dans le salon de Paul Rogue. Une crêpe aux fruits rouges pour la route. Pris la photo de la grand-mère de Paul que mon grand-père (Ponpain) avait mise au monde dans une ferme. Noté l'adresse pour la carte postale:
Mr et Mme Paul ROGUE
16 rue de Bretagne
LA TANNIERE
53220 MONTAUDIN
Thé-vécé à Ambrières. Je pousse le vélo jusqu'à Villaines et les côtes passent mal. 18,9 km/h sur ce tronçon que je connais par cœur. Le temps passant, l'oscillation s'aggrave entre les périodes d'euphorie à grande vitesse et les brumes de l'hypoglycémie à petite vitesse.
Villaines: je sens l'odeur de l'écurie. Manger rapide, photo du gars qui dit des bêtises dans son micro, les foules vont arriver dans 30', il est temps de repartir. Je fonce vers le salon de massage et, en fait de massage, retrouve Claire pour la première fois. Elle vient d'arriver et est déjà à l'atelier d'entretien. Esteban tient le coup mais la cheville de Claire, elle, se dévisse. Déjà zombie, elle ne me reconnaît pas et m'envoie me faire voir chez les Grecs (mais, que se passe-t-il donc chez les Grecs ?). Le masseur me fait vite oublier tout ça et ils se trouvent rapidement à deux à concourir (le kiné costaud et un costaud masseur bénévole de l'équipe de foot) pour me dénouer les muscles des jambes et des fesses en piteux état par abus de gros braquets (ne le dites pas à Christian). Ils y parviennent et je file sur Mortagne, ignorant totalement si Claire et Esteban sont devant ou derrière. En fait, ils sont déjà 15 minutes devant.
Là, ça roule enfin, comme hier soir. Le vent est dans le dos et le gore-Tex est inutile. Ca fonce. Je roule un peu avec la superbe équipe de Loudéac que j'avais accompagnée sur Tinténiac-Loudéac en 1999. Des très bons, mais je dois m'arrêter à Fresnay sur Sarthe pour un thé-vécé. Le patron me reconnaît, on papote, tous les cyclos loupent le virage à gauche: c'est très drôle. Je lui confirme que 3000 vélos vont passer dans les 3 heures qui viennent. Alors il chauffe ses chaudrons et prépare son tiroir-caisse. Ensuite un regard ému sur le bord de route maculé de sang de mon accident de 2003, traversée en trombe (marque célèbre de chasse d'eau) de Mamers. Pas vu de café ouvert, pas plus qu'aux autre points que j'avais repérés avant. Alors il est urgent d'atteindre Mortagne dans les plus brefs délais. Du coup j'arrive à 23h18 après avoir semé tout le monde sur ma route, mais avec 1/2 heure d'avance seulement sur l'horaire (j'étais pourtant parti 1h15 en avance à Loudéac). Je crois Claire derrière (elle est déjà arrivée, en fait) et ne la cherche pas. Direction le dortoir pour réserver, la nourriture pour recharger la chaudière et la douche gratuite (car l'eau est froide) pour me laver. Après un report à nouveau de 15' sur les 30' d'avance, au lit jusqu'à 4h15 au lieu de 4h30 (un arrêt-dortoir de 4h45) à coté d'un taré qui m'a piqué mon lit (il se fera réveiller à mon heure) et ma couverture. Son excuse: il est tombé...
4h15 (report avance de 15'): pas de nouvelles de Claire, ni de Claudine, ni des autres (en fait Claudine est passée en vitesse au milieu de la nuit, virtuellement sans s'arrêter dormir, et est déjà loin devant; et Claire dort encore). Misérable départ dans la nuit avec le Gore-Tex, que je peux heureusement vite enlever. Ca roule à peu près (20 km/h) jusqu'à Dreux qu'on contourne à 38 Km/h en peloton. L'écurie est proche. Il est 8h40 et un taré en voiture tente de nous doubler pour se rabattre sur un bateau au milieu de la route. À 35 km/h, je touche de ma main gauche la voiture qui se rabat vers nous, pas question de faire le moindre écart. La voiture folle s'arrête heureusement juste avant le bateau. Ca aurait fait 10 cyclos dans l'ambulance. On aurait eu un prix à l'hôpital (ou la morgue) de Dreux !
Dreux et son stade. 45' d'arrêt bouffe et 15' de sommeil au dortoir. Pendant ce temps, Esteban (c'est un beau vélo Orbea rouge et noir) en profite pour passer avec Claire et son beau maillot London Pride rouge et noir, sur la pointe des pneus. Enfin retapé. Départ avec 30' d'avance.
Départ très laborieux, suivi d'un retour facile sur le gymnase des Droits de l'Homme après un dernier thé-vécé un peu long mais salutaire après être ressorti de la vallée de l'Eure. Les maux de fesses de ce matin s'estompent avec la forme qui revient. J'ai retrouvé ma vitesse des beaux jours. Rencontre avec une cyclote flamboyante et qui parle fort, de Boulder (Co, USA). On la dénommera ici "Boulder". Un galant cyclo-randonneur d'Anjou lui a offert sa roue. Je me glisse dans leur sillage, ça roule très fort. Malheureusement, l'élégant Angevin est cuit (bien fait !), Boulder ne le relaie pas et il se réfugie dans un groupe qui se traîne à 23 km/h. Je dois prendre le relais, l'Angevin, épuisé, ne bouge pas un cil. On commence à 25, puis 27, puis 29 km/h. Boulder me raconte qu'elle est partie mardi matin avec Claudine (oui, Claudine, avec son abeille sur le casque) au départ de 5 heures et qu'elle a toujours réussi à rouler en restant dans les roues. Marrant: les tactiques féminines sont constantes, mais jamais avouées, sur PBP et ailleurs. Boulder, en bonne américaine, est plus nature que d'usage et révèle tous ses trucs. On n'arrête pas de doubler des cyclos US, qu'elle connaît immanquablement et qui ne tentent même pas de prendre la roue. On rejoint un groupe de Picards qui roulent fort et bien. Boulder met une telle panique dans leurs relais, en refusant les relais ou en les prenant à contre temps, qu'on finit par s'enfuir devant dans une côte qui ralentit le groupe. J'ai un peu honte d'être complice d'un tel forfait, mais c'est trop marrant pour arrêter. On est maintenant à 30-32 km/h, ça roule fort, même dans la côte de Gambaiseuil qu'on passe très vite, debout comme en course. Enfin, en arrivant à 5 Km du gymnase, peu avant le pont sur la N10, je vois Claire et Esteban qui se traînent devant, dans la roue d'un vélo couché (c'est Jean-Lou, héros avec Bruno du 600 de Mours) qui me salue. Je me présente, Claire répond sans sembler me reconnaître, comme le professeur Tournesol quand il fait le zouave dans "Objectif Lune". On dira que ça va... En tout cas Jean-Lou, lui, semble l'affirmer ... Alors on repart à donf avec Boulder, debout sur le grand plateau vers l'arrivée, dans les grandes avenues de la ville nouvelle. Comme à l'arrivée à Dreux, ça roule à 35-38 km/h: on ne chôme pas depuis la sortie de la vallée de l'Eure.
Arrivée en trombe à 13h17. Montant la planche vers le gymnase, je sors enfin d'hypnose et vois la tête hilare de Dany qui fait la claque aux arrivants. Annick, pour sa part, travaille car on est vendredi. Ca fait plaisir à entendre et ça fait brutalement revenir dans le monde des vivants. Jean et les autres abeilles sont là aussi, juste avant le pointage, souriants malgré leur immense fatigue due au manque de sommeil et m'aident à ranger le vélo. Je titube.
Jean me dit alors que Claudine est arrivée deux heures avant, Boulder confirme qu'elle s'en doutait... pointer le dernier pointage avec Boulder (son nom figurera sur la liste ACP des arrivants), et c'est fini. Pointage final à 13h19, en avance de 13' sur l'heure prévue de 13h32: un PBP à l'heure TER que la SNCF ne renierait pas (rapport final: un autre fichier Excel pour les fanas). Naturellement, j'en conclus qu'avancer le départ de 15' à Mortagne était une mauvaise idée, à ne plus reproduire.
Au moment de pointer, l'organisateur, dans sa générosité, nous offre un bon pour une bière au bar: un geste royal de l'Audax Club Parisien.
Maintenant, il faut rentrer aux Alluets. Ce sera facile, en poursuivant à 38km/h ! La vitesse chute pourtant dès le pont sur la N10 et la panne d'essence attendue se produit à Plaisir où je mange enfin le sandwich acheté à Dreux. Retour en zigzag jusqu'aux Alluets, avec montée de la côte de Crespières sur la moulinette du 28/28. Du jamais vu sur cette côte minuscule.
Le reste n'est plus du vélo. Isabelle, Guillaume et Sophie avaient suivi les Abeilles. Beaucoup, dans la famille, avaient fait de même (même à Montpellier, à Tahiti ou à Washington). Alors, comme le marin qui rentre au port, il faut parler à tout ce monde ou au moins envoyer des mails. Le marchand de sable passe dès 16 heures, interrompu par un dîner d'hôpital, sur le pouce, à 18h45 et fin de nuit 16 heures après pour une reprise du boulot lundi matin.
Alors, pourquoi ?
Pourquoi diable avoir demandé un vélo lors de ma communion solennelle en lieu et place de couverts en argent et de magnifiques images pieuses (Jean-Claude s'en souvient) ? Pourquoi avoir ensuite roulé mon premier 120 km de Montaudin à Angers quelques mois après avec un sac à armature qui me sciait le dos, à une moyenne dérisoire (Nono s'en souvient) ? Pourquoi avoir ensuite réalisé des randonnées toujours plus longues comme ce Paris - Metz définitivement interrompu le soir par une sieste de 12 heures dans un café de la côte de Saint Mihiel (Claude Mariotte s'en souvient) ?
Pour paraphraser Maurice Herzog parlant de l'Annapurna et de l'ascension un peu folle qu'il avait imposée à son équipier Lachenal: "Parce qu'elle est là".
Ces choses-là ne s'expliquent pas: Vive le vélo au long cours !
Si c'était à refaire, car je recommencerai certainement en 2011, je calculerais toujours en quatre étapes, toujours sur 88 heures, toujours pour dormir 4 heures pur porc (deux cycles complets, mais pas plus) à chaque fois, ce qui exige une vitesse d'enfer et des arrêts minuscules aux pointages. C'est à expérimenter de nouveau même si ça ne correspond pas à la philosophie Lepertélienne. Claudine nous a montré la voie avec son 3 fois 400 km.
Et en 2011, il y aura conjonction avec le PBP Audax. Pourquoi pas un double PBP ?
À l'examen, ce n'était pas vraiment "Survoler l'édition 2007 dans un fauteuil", mais j'ai déjà oublié pourquoi. Alors, pourquoi pas la Rocky Mountain 1200 l'an prochain ? Avis aux amateurs (Grecs, car les amateurs sont toujours Grecs).
Jean-Pierre
"Le Cyclotourisme, un art de vivre" |